Réforme du financement de la prévention primaire : un virage décisif pour les établissements de santé (rapport Igas)
Publié le vendredi 22 novembre 2024 à 08h30
Etablissements Financeurs PreventionUn financement spécifique, incitatif et ciblé sur 4 déterminants de santé : en s’inspirant de l’approche "Making every contact count", l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) propose, dans un nouveau rapport, un ensemble de mesures pour que les établissements de santé investissent davantage le champ de la prévention primaire, en articulation avec d’autres acteurs.
Ancrer la prévention primaire dans les établissements de santé
La prévention primaire vise à réduire la mortalité et la morbidité évitables en agissant en amont des maladies. Elle permet de diminuer les affections de longue durée (ALD), qui représentent 66 % des dépenses de l’Assurance maladie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette approche améliore la santé globale et permet de maîtriser les dépenses à court et long terme. Pourtant, en France, les établissements de santé n’ont historiquement consacré que 0,4 % de leurs dépenses à la prévention, un chiffre dérisoire comparé à d’autres pays.
La réforme du financement des établissements de santé, introduite par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, marque une étape clé dans la réorientation des soins vers la prévention primaire. Ce rapport de l’Igas, publié le 8 octobre 2024, dresse un état des lieux et propose des mesures concrètes pour ancrer cette démarche au sein des établissements hospitaliers, principalement en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et en hospitalisation à domicile (HAD). En plus des recommandations qu’il émet, il fait un focus sur les enjeux et le rôle central de l’innovation numérique et de l’intelligence artificielle (IA) dans la prévention.
Des actions de prévention ciblées sur 4 déterminants majeurs :
En parallèle de la création de ce financement pérenne, l’Igas recommande de concentrer les actions de prévention sur quatre déterminants majeurs de santé : tabac, alcool, alimentation et activité physique. L’objectif étant d’agir sur ces facteurs de risque afin de prévenir les maladies chroniques coûteuses comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, et certains cancers.
Selon le rapport, les interventions devront également être adaptées aux publics fragiles, dans une approche d’universalisme proportionné, afin de compenser leur accès souvent limité aux soins préventifs.
Former les soignants pour une approche préventive intégrée :
L’Igas souligne par ailleurs l’importance de former les professionnels de santé pour les intégrer pleinement dans cette démarche. Ils seront formés à identifier les opportunités de discussion sur la santé avec les patients, même lors de contacts courts, et à délivrer des conseils adaptés pour encourager des changements de comportement.
Un dispositif de formation des soignants est recommandé pour les accompagner suivant la méthode anglaise du “Making every contact count” (MECC), qui vise à tirer parti de chaque interaction avec les patients pour délivrer des messages de prévention.
Modalités et chiffres clés du financement
Le rapport de l’Igas met un accent particulier sur la nécessité de créer un financement incitatif et pérenne pour garantir l’intégration durable de la prévention primaire dans les pratiques des établissements de santé. Une ligne budgétaire spécifique, intitulée “dépenses de prévention primaire des établissements de santé”, sera inscrite dans l’objectif de santé publique. Cette mesure permettra une visibilité claire des financements, indispensables pour soutenir les actions de prévention sur le long terme.
Les montants alloués à cette réforme sont progressifs :
- 12 millions d’euros sont prévus dès 2025 pour initier la phase pilote dans 100 établissements volontaires ;
- ce montant augmentera pour atteindre 163 millions d’euros en 2027, au moment de la généralisation à la majorité des 2 273 établissements de MCO et HAD.
Ces fonds serviront principalement à développer et diffuser des outils de formation pour les professionnels de santé et à les mobiliser pour intégrer les actions de prévention dans leur pratique quotidienne.
Le modèle de financement repose sur un versement automatique, sans passer par des appels à projets, une fois les évaluations d’efficacité réalisées. Ce mécanisme vise à faciliter l’adhésion des établissements et à lever les contraintes administratives qui pourraient freiner leur participation. De plus, les agences régionales de santé (ARS) seront responsables du déploiement territorial et sélectionneront les établissements en fonction des spécificités locales et des besoins régionaux.
Les 11 recommandations de l’Igas
Pour assurer la réussite de la réforme du financement de la prévention primaire dans les établissements de santé, l’Igas émet, dans ce rapport, 11 recommandations visant à structurer le déploiement des actions, garantir un financement pérenne et renforcer la synergie entre les acteurs locaux et nationaux :
- Créer une ligne budgétaire dédiée à la prévention primaire dans les établissements de santé, intégrée à l’objectif de santé publique.
- Cibler les actions de prévention sur quatre déterminants majeurs de santé : tabac, alcool, alimentation, et activité physique.
- Adapter les interventions aux publics fragiles, en mettant en œuvre une logique d’universalisme proportionné.
- Impliquer le personnel soignant dans les actions de prévention, à la fois comme bénéficiaires et acteurs, pour améliorer leur santé et l’attractivité de leurs métiers.
- Mettre en place un financement pérenne, automatique, sans appels à projets, pour soutenir durablement les actions de prévention.
- Favoriser l’échange d’informations entre acteurs de santé, en créant un dispositif de partage de données, tout en respectant le RGPD.
- Renforcer les partenariats avec les collectivités territoriales, en les mobilisant comme partenaires des établissements dans l’accompagnement des actions de prévention.
- Déployer la réforme en deux phases : une phase pilote en 2025 avec 100 établissements volontaires, suivie d’une généralisation en 2026-2027.
- Développer un outil de suivi basique pour recueillir et suivre les actions de prévention dès la phase pilote.
- Créer un comité scientifique chargé de l’évaluation des actions, de la définition des contenus de formation, et de l’élaboration des indicateurs de santé publique.
- Assurer la gouvernance nationale du modèle de financement par le Conseil économique de l’hospitalisation publique et privée (CEHPP), avec un pilotage territorial confié aux ARS.
Ces recommandations visent à instaurer un cadre solide pour que la prévention primaire devienne un pilier des établissements de santé, en s’appuyant sur une organisation financière et territoriale adaptée aux enjeux actuels de santé publique.