Quels sont les Obim, modèles d’impact organisationnel et budgétaire ? (entretien S. Bourguignon)
Publié le mardi 26 mars 2024 à 14h44
Data DMN EfficienceAnalyser les impacts budgétaires d’un parcours de soins, intégrer les éléments de tarification selon les approches de financement et identifier, qualifier et quantifier les effets selon les expériences patient, soignant et système de santé. Dans un entretien exclusif, Sandrine Bourguignon, fondatrice de Rweality, nous parle des enjeux des modèles d'impact organisationnel et budgétaire (Obim).
Avec Rweality, son bureau d’étude spécialisé dans l’analyse des impacts organisationnels et de valeur en santé, Sandrine Bourguignon prône la mise en place des Obim (organisational and budget impact models) dans les parcours de soins et les mécanismes de tarifications. Pour H&TI, elle revient sur les méthodes et les objectifs de ces modèles et explique pourquoi il faudrait inciter les organisations de santé à les adopter, notamment pour optimiser l’organisation des parcours de soins et l’efficience en des actions de santé.
Trouver des mécanismes de tarification efficaces et incitatifs
Quels sont les Obim et à quels acteurs de la santé s’adressent-ils ?
Les Obim sont des outils d’aide à la décision pour valider l’efficience et l’intérêt d’un changement de parcours de soins ou de protocole de prise en charge. Ils intéressent forcément les payeurs et les institutionnels, car ils leur permettent de ne pas être aveugle sur les sujets de tarification.
Leurs utilisateurs cibles dépendent de l’objectif de chaque Obim. Si ce dernier est utilisé à la Haute autorité de santé (HAS) dans le cadre d’un accès au remboursement et d’une négociation de prix, il concernera les industriels de santé – médicament, dispositif médical ou plus récemment thérapie numérique (DTx). Lors de l’évaluation par la HAS, les dispositifs médicaux numériques (DMN) répondent souvent à des critères d’impact sur l’organisation des soins. On parle alors de critères organisationnels. Cette première utilisation concerne donc le remboursement.
La deuxième utilisation peut concerner aussi bien l’industrie pharmaceutique que les hôpitaux, les agences régionales de santé (ARS) ou d’autres acteurs institutionnels. Bien que le travail sur les parcours et les protocoles de soins ne vise pas le remboursement, c’est un bon moyen d’évaluer les transformations de parcours et de prise en charge. Il faut trouver des mécanismes de tarification qui améliorent la qualité de soins et qui soient en même temps incitatifs pour tous les professionnels de santé. Aujourd’hui, avec la tarification à l’activité, un hôpital n’a pas intérêt à perdre ses patients, malgré les innovations thérapeutiques et organisationnelles qui visent à sortir le patient de l’hôpital. La tarification va à l’encontre d’une incitation à mieux faire.
Quel est aujourd’hui le degré de maturité de ces problématiques d’évaluation d’impact au sein du système de de santé français ?
Conceptuellement, je pense que tout le monde a conscience du sujet. En 2021, la HAS avait déjà réalisé une cartographie des impacts organisationnels pour l’évaluation des technologies de santé. Il existe cependant une problématique de délai d’accès à la donnée, avec beaucoup d’études qui pourraient mieux se faire, par exemple grâce à des accès simplifiés au système national des données de santé (SNDS). L’accès aux données de santé est clé pour réaliser des évaluations robustes qui permettent de légitimer les innovations organisationnelles dans la démonstration de valeur.
Nous en sommes aux prémices en termes d’évaluation des politiques publiques aujourd’hui. Nous n’évaluons pas encore les impacts organisationnels, même si le ministère dit clairement vouloir déployer des innovations organisationnelles. Nous n’arrivons pas encore à estimer l’innovation organisationnelle à sa juste valeur. Nous pourrions, par exemple, réévaluer un certain nombre de prises en charge en cardiologie, où il y a des dispositifs innovants qui sont bien installés et avec un risque maîtrisé. L’Allemagne a fermé beaucoup de lits en cardiologie parce que les pratiques ont changé. Ils ont changé le protocole en fermant des lits et personne ne s’est offusqué de cette fermeture. France, nous ne savons pas vraiment si nous avons fermé des lits où il le fallait ni pourquoi.
La problématique de la reconnaissance des impacts organisationnels
Existe-t-il des guidelines ou lignes directrices pour l’usage des Obim ?
Il n’existe pas de guidelines des Obim en tant que telles, puisque cette terminologie commence à émerger. Cela dit, les Obim sont le résultats de deux précédentes guidelines de la HAS : la première porte sur la cartographie des impacts organisationnels et la deuxième, qui date de 2016, sur les impacts budgétaires.
La guideline sur le critère d’impact organisationnel n’est pas clairement reconnue et formulée comme un critère d’évaluation par la HAS. Sauf pour le dispositif médical, puisque le guide d’évaluation des dispositifs médicaux de la Cnedimts explique comment on doit définir et quantifier ces critères-là.
La dimension organisationnelle n’est donc, selon vous, pas encore complètement intégrée par l’écosystème ?
La problématique de la reconnaissance des impacts organisationnels comme valeur d’un produit de santé réside dans la nécessité de démontrer l’amélioration dans le parcours de soins et au sein du système de santé, et donc de réaliser des études de bonne qualité pour pouvoir en exploiter les résultats. Par exemple : éviter des passages aux urgences, réduire les hospitalisations ou sortir le patient de l’hôpital, comme dans le cas d’une chimiothérapie orale ou en HAD. Ce sont des modifications dans le parcours de soins, sur des critères qui ne sont pas des critères cliniques mais bien organisationnels et de gestion de flux, qui ne sont pas investigués par les études cliniques. Cela relève du domaine de la real world evidence (données de vie réelle).
La cartographie de 2021 de la HAS parlait de “macros”, des critères socioéconomiques et organisationnels, sans entrer dans le détail du type de critères à mesurer. Comment donc reconnaître un critère organisationnel au même titre que la qualité de vie dans la Doctrine de la commission de la transparence (CT) relative aux médicaments, par exemple ? C’est une évolution lente qui se met en place.
De l’autre côté, il y a les guidelines d’impact budgétaire, qui représentent des modèles d’évaluation des coûts pour un payeur comme l’Assurance maladie. Lorsque nous introduisons une nouvelle technologie aux produits de santé, qu’est-ce que cette technologie va coûter à la fin pour la Sécurité sociale ? Ce n’est qu’en tenant compte des coûts supplémentaires du produit et de ceux évités que le coût net est estimé. Il existe des méthodes de modélisation en recherche sur l’économie et les résultats de la santé (HEOR) qui sont évaluées par la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP) dont les avis d’évaluation économique sont publiés.
Des études Obim pouvant durer jusqu’à 18 mois
Quel est le rôle des données de vie réelle (RWD) dans ces évaluations économiques ?
Le RWD est essentiel pour les évaluations économiques, car la donnée permet de quantifier les différents niveaux d’impacts. La donnée peut venir de collecte primaire, de réutilisation secondaire (comme le SNDS), de l’enrichissement de plusieurs sources entre elles. Mais il est aussi important d’intégrer des dimensions qualitatives, à travers des enquêtes et interviews d’experts ou de patients.
Nous mixons ensuite les méthodes de modélisation d’impacts budgétaires avec des critères organisationnels. Nous identifions ces critères en les qualifiant et les mesurant pour les transformer en impact budgétaire. C’est cette étude qui constitue les Obim. Les études sont à durée et budget variables. Elles peuvent durer entre 1 et 3 mois lorsqu’elles consistent en des interviews et des revues de littérature, et jusqu’à 18 mois lorsqu’elles collectent des données. Pour la collecte de données, nous avons un partenariat avec deux sociétés de data (EU et US) : Horiana et Skezi. Le champ du RWD est très large et nécessite de travailler en transversalité sur plusieurs expertises métiers.