Stratégie IA : « Notre objectif, c’est de déployer l’IA au service de l’usage immédiat et de l’innovation. » (Alexis Thomas, DGA et Sébastien Florek DSN CHU de Bordeaux)
Publié le vendredi 05 décembre 2025 à 12h24
Data IA GouvernanceAu CHU de Bordeaux, la stratégie IA s’appuie sur l’élaboration d’une feuille de route claire et exhaustive. 3 RHU majeurs dont TALENT, ENVISAGE en cardiologie et Digital Urology 3D ainsi que la brique UroPredict du programme I.CaRe Bordeaux mobilisent l’IA et les EDS dont le CHU a la responsabilité pour la valorisation des données : l’EDS du Chu de Bordeaux, EDS@NOVA et EDS UroCCR.
L’établissement renforce la cybersécurité, l’évaluation éthique et les coopérations régionales et européennes afin d’intégrer l’IA dans les pratiques cliniques et organisationnelles au service des besoins des soignants et des patients.
Points-clés
- Quatre projets structurants en IA ( trois RHU un EDS régional) portés ou co-portés par le CHU de Bordeaux ;
- priorité donnée aux usages à forte contrainte métier comme les plannings RH, la gestion des lits et des flux;
- évaluation clinique, organisationnelle, économique et éthique systématiquement intégrée au pilotage des projets ;
- structuration régionale des données de santé via l’EDS fédéré EDS@NOVA (Bordeaux, Poitiers, Limoges) ;
- renforcement de la cybersécurité avec une direction de la cybersécurité distincte de la direction du numérique.
Health & Tech Intelligence s’est entretenu avec Alexis Thomas, directeur général adjoint du CHU de Bordeaux et avec Sébastien Florek, directeur du numérique, directeur du système d’information hospitalier, support aux projets innovants intégrant de l’IA.
Le CHU de Bordeaux est un centre hospitalier universitaire de très grande taille, fortement impliqué dans la recherche, l’innovation et les coopérations inter-CHU, disposant d’une communauté médicale et d’une direction très engagées sur les projets IA, notamment autour des entrepôts de données de santé et de la numérisation des lames d’anatomopathologie.
Une stratégie IA en cours de formalisation
Le CHU s’appuie sur une communauté de recherche active, investie dans les projets IA, ainsi que sur des coopérations nationales et européennes autour des entrepôts de données de santé et de la numérisation des lames d’anatomopathologie.
Une feuille de route IA formalisée est en cours de rédaction, sous pilotage de la Commission médicale d’établissement, de la direction générale et de la direction du numérique.
Cette feuille de route vise à couvrir l’ensemble des cas d’usage (cliniques, médico-techniques, administratifs), en évitant la dispersion et en identifiant les sujets les plus pertinents en priorité.
3 RHU structurants, TALENT, ENVISAGE et Digital Urology 3D
Le CHU de Bordeaux est porteur de trois RHU majeurs intégrant fortement l’IA, TALENT, ENVISAGE et Digital Urology 3d, tous trois lauréats de l’ANR. TALENT vise à améliorer la prédiction et la prévention des accidents vasculaires cérébraux cardio-emboliques par des modèles d’IA, en s’appuyant sur des données cliniques et de rythme cardiaque collectées sur plusieurs sites, en lien avec l’IHU LIRYC, l’Inria et plusieurs partenaires industriels spécialisés dans l’analyse de signaux et l’imagerie cardiaque.
ENVISAGE a pour objectif de développer une solution de guidage par l’image basée sur l’IA pour optimiser la sélection des patients et le déroulement des procédures transcathéter sur les valves cardiaques, en partenariat avec des équipes françaises et canadiennes et des industriels de l’imagerie interventionnelle.
En urologie, par le programme de Recherche et Innovation sur le Cancer du rein I.CaRe Bordeaux, le CHU est fortement impliqué dans UroPredict. Ce projet, lauréat de l’AMI Data, IA et Parcours de santé du CSF-ITS, s’appuie sur l’EDS multicentrique thématique du réseau français de recherche sur le cancer du rein UroCCR contenant les données de plus de 21 700 patients pour développer des algorithmes prédictifs d’upstaging tumoral et de rechute après chirurgie. Ces modèles de machine learning quantifient d’une part le risque d’upstaging d’une tumeur (passage d’un stade localisé en imagerie à un stade localement avancé en anatomopathologie), et d’autre part le risque de rechute 5 ans après chirurgie d’un cancer du rein non métastatique. Ils sont aujourd’hui déployés et mis à disposition de la communauté scientifique et médicale internationale via le site internet du réseau uroccr.fr.
« […] Si l’offre des éditeurs d’IA ne répond pas, il faut pouvoir développer nous-mêmes certains algorithmes. »
Le CHU distingue des projets IA « historiques » et très spécialisés, souvent issus de communautés de recherche et d’appels à projets, et des projets plus transversaux (aide à la détection pour fractures, réalisation des plannings) qui suivent un processus classique d’achat, d’intégration et d’évaluation.
La ligne directrice est de ne pas tout développer en interne afin de limiter la prolifération d’« outils maison » difficilement maintenables, tout en conservant la capacité de développer certains algorithmes spécifiques lorsque l’offre du marché ne répond pas aux besoins.
Ce positionnement s’articule avec des investissements ciblés en capacités de calcul, notamment en serveurs dotés de GPU, lorsque les exigences techniques dépassent les solutions disponibles en mode service.
Formation et accompagnement des équipes
La formation à l’IA n’est pas encore structurée sous forme de cursus générique, mais l’accompagnement est ciblé sur chaque solution déployée
Une sensibilisation progressive aux enjeux de l’IA est menée auprès des cadres et des équipes administratives, afin qu’ils identifient clairement les fonctionnalités basées sur l’IA et les usages autorisés.
Il n’est pas possible, à ce stade, de proposer une formation généraliste à l’IA à l’ensemble des personnels, mais la montée en compétence est identifiée comme un axe de travail prioritaire.
« […] La mise en place de l’IA doit correspondre à des objectifs précis »
Sur les outils cliniques, un enjeu majeur est la bonne prise en compte des implications associées en termes de responsabilité, de sécurité et de pertinence. La compréhension de l’étendue des données exploitées par les modèles (pour la prédiction ou l’aide au diagnostic) fait partie des conditions d’acceptabilité.
Pour les outils de gestion, comme la planification RH, la confiance se construit autour de l’utilité perçue : les équipes sont souvent demandeuses de solutions d’optimisation pour réduire la charge administrative et gagner du temps .
L’évaluation de l’impact clinique, organisationnel et économique est au cœur des démarches de déploiement, en intégrant également une dimension éthique. Pour les outils d’aide au diagnostic (fractures, imagerie, prothèses), l’IA est considérée comme un dispositif médical et doit être évaluée en termes d’efficacité clinique et de sécurité des patients, tandis que les projets organisationnels suivent des indicateurs comme les temps d’attente, les taux de satisfaction, ou le temps passé à élaborer les plannings.
« Avec la direction de la cybersécurité, on a une organisation cyber de chacun des projets numériques. »
Le CHU de Bordeaux a renforcé sa gouvernance en créant une direction des risques cyber, distincte de la direction du numérique, pilotée par le RSSI, et qui intègre les DPO dont l’une des composantes est l’organisation du PCRA (plan de continuité et de reprise de l’activité).
Cette séparation permet d’assurer une indépendance de contrôle et de supervision, vis-à-vis des projets numériques mis en œuvre en particulier pour les projets numériques critiques incluant de l’IA.
Des procédures ont été mises en place pour intégrer la cybersécurité dès la conception des projets, avec l’objectif de ne plus déployer de solutions en dehors du cadre du référentiel national de sécurité (MSSI).
Chaque projet est ainsi analysé sous l’angle de son exposition vers l’extérieur et de la conformité aux exigences réglementaires et techniques en matière de sécurité.
Données, EDS@NOVA et numérisation des lames
Le CHU de Bordeaux est lauréat de la première vague nationale sur les entrepôts de données de santé (EDS) avec deux autres CHU régionaux et a mis en place un EDS local coordonné au sein du GCS NOVA.
L’EDS@NOVA, entrepôt fédéré associant Bordeaux, Poitiers et Limoges, a pour objectif de mettre en commun les données de santé hospitalières pour les projets de recherche mono centrique (présente dans un seul établissement) ou multi-centrique (sur l’ensemble des 3 sites), en garantissant la protection des données et l’encadrement des usages secondaires.
Parmi les premiers projets IA et data soutenus au sein d’EDS@NOVA figure notamment TALENT, centré sur la prédiction du risque d’AVC cardio-embolique, aux côtés d’autres projets multicentriques menés avec l’université de Bordeaux, l’Inserm, l’Inria et le Health Data Hub.
En parallèle, un projet de numérisation des lames d’anatomopathologie est conduit sur les trois CHU, avec le soutien de l’Agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine, avec stockage sécurisé et développement concomitant d’algorithmes internes pour la recherche et de benchmarks de solutions industrielles « sur étagère » pour l’aide à la lecture et la détection automatisée.
La réflexion éthique fait partie intégrante de la réflexion sur les modèles d’évaluation
L’évaluation éthique des outils IA est considérée comme un axe structurant de la stratégie, avec une réflexion en cours sur les modèles d’évaluation à appliquer. L’assistance IA à la décision clinique est traitée comme un dispositif médical, impliquant une démarche encadrée pour son évaluation, sa mise en production et la traçabilité des usages.
Une sous-commission dédiée travaille sur l’ensemble des usages de l’IA dont les outils de type ChatGPT (génération automatique de textes), afin de définir un périmètre de légitimité, les modalités d’usage et les règles de conservation des traces. Les questions juridiques (évolution du cadre, règles de responsabilité, transparence vis-à-vis des patients) sont discutées au sein de cette sous-commission, avec une attention particulière portée à la conformité et à la documentation des décisions.
Coopérations régionales, nationales et européennes
Au niveau régional, le CHU de Bordeaux coopère déjà avec les CHU de Poitiers et de Limoges dans le cadre de l’EDS multicentrique et de la numérisation des lames d’anatomopathologie, modèle en cours d’extension à d’autres établissements.
Cette coopération s’accompagne d’une volonté affichée d’éviter la concurrence entre établissements publics sur les choix des infrastructures d’IA, en privilégiant la mutualisation et l’harmonisation des choix de solutions.
Sur le plan national et européen, le CHU participe à au moins un programme européen reposant sur un modèle hybride de communication 5G permettant de garder en local les données sensibles du CHU tout en exploitant des outils et systèmes IA existants en limitant ainsi le risque d’exposition cyber.
Les équipes expriment un intérêt marqué pour des partenariats européens autour d’infrastructures et de solutions de cloud plus souveraines, afin de réduire la dépendance aux grands acteurs américains.
Le partage d’expérience avec d’autres hôpitaux français et étrangers, notamment canadiens, est vu comme un levier pour améliorer collectivement l’usage de l’IA en santé, en capitalisant sur les succès comme sur les limites rencontrées.
