France 2030 : un rapport éclaire les conditions d’intégration des nouvelles méthodologies en recherche clinique
Publié le vendredi 16 mai 2025 à 11h47
IA Pharma Santé populationnelleUn nouveau rapport coordonné par l’Agence de l’innovation en santé et F-CRIN recommande des méthodes alternatives à l’essai randomisé pour mieux évaluer les produits de santé en contexte réel.
l’AIS et F-CRIN misent sur l’IA et les données en vie réelle pour compléter les essais randomisés
Depuis 2023, l’Agence de l’innovation en santé (AIS) et l’infrastructure F-CRIN collaborent pour analyser les nouvelles approches méthodologiques en recherche clinique. Publié le 15 mai 2025, leur rapport d’étape, intitulé ; État d’avancement des évolutions méthodologiques en recherche clinique – De la recherche expérimentale au suivi d’évaluation en phase d’usage courant, dresse un état des lieux sur deux évolutions majeures : l’utilisation des données de vie réelle (ou soins courants) et les applications de l’intelligence artificielle, telles que les essais cliniques simulés ou les modélisations in silico. Face à la montée des données issues du monde réel et aux capacités d’extrapolation de l’IA, de nouvelles méthodes émergent, destinées à compléter voire à pallier les limites des essais cliniques traditionnels. C’est pertinent dans les contextes où la preuve d’efficacité est difficile à obtenir : maladies rares, maladies à évolution lente, antibiorésistance, ou encore dispositifs de santé personnalisés.
L’AIS et F-CRIN identifient dans leur rapport deux approches. La première est l’émulation d’essais cliniques, qui consiste à utiliser des données réelles pour reconstituer, a posteriori, des essais randomisés. Cette méthode permet notamment de contourner des biais bien documentés : biais de sélection, biais d’immortalité, biais de confusion. Elle repose sur une définition rigoureuse des critères d’éligibilité, des interventions et des modalités de suivi.
La seconde approche concerne l’intégration de l’intelligence artificielle, capable de modéliser l’évolution d’une maladie ou de simuler l’effet d’un traitement. Ces techniques permettent aussi d’affiner la sélection des patients, d’anticiper les réponses aux traitements, et de définir des critères d’inclusion plus pertinents que ceux des essais classiques.
Émuler, compléter ou simuler : les approches méthodologiques retenues
Le rapport met en avant plusieurs alternatives ou compléments à l’ECR :
- L’émulation d’essai clinique repose sur l’exploitation rigoureuse de données observationnelles pour reproduire, à l’identique, la structure d’un essai cible. Elle permet de produire un estimand causal en cas d’ECR irréalisable ou incomplet.
- Les essais avec bras de contrôle externe, basés sur des données de soins courants, sont particulièrement utiles pour les maladies rares ou les contextes d’urgence. Ils doivent répondre à des exigences méthodologiques élevées pour limiter les biais.
- Les essais « augmentés » (externally-augmented trials), hybrides, combinent un bras contrôle randomisé avec des données issues de cohortes ou d’études antérieures, permettant de réduire le nombre de participants requis dans les groupes témoins.
L’IA et les données artificielles au service de l’innovation
Trois usages numériques sont particulièrement mis en avant :
- Optimisation opérationnelle des essais cliniques : l’IA permet notamment d’identifier automatiquement des patients éligibles ou d’améliorer la qualité des données.
- Développement de modèles pronostiques : utilisés pour l’enrichissement des essais ou comme variables d’ajustement, ces modèles renforcent la puissance statistique.
- Simulations in silico : en s’appuyant sur des modèles mécanistes ou d’IA, ces simulations offrent des pistes pour contourner certaines contraintes éthiques ou logistiques des essais.
Recommandations et attentes vis-à-vis des régulateurs
L’AIS et F-CRIN insistent sur l’importance :
- De formaliser les protocoles d’émulation dès la conception de l’étude.
- De garantir la qualité des données de soins courants (exhaustivité, suivi longitudinal, contrôles négatifs).
- De favoriser le dialogue précoce avec les agences (ANSM, HAS, EMA, FDA), en exploitant notamment les dispositifs comme le Guichet Innovation ou les entretiens préalables.
Les agences, tout en réaffirmant la primauté de l’ECR, reconnaissent progressivement la valeur de ces approches dans des contextes ciblés. L’EMA a par exemple qualifié récemment un outil d’IA pour le diagnostic de la maladie stéato-hépatique métabolique. Le rapport recommande donc de développer des cohortes prospectives alignées avec les pratiques de recherche clinique et de conduire des études de validation croisée avec des essais déjà réalisés. Une checklist des exigences EMA/FDA/HAS pourrait servir de référentiel commun.
En conclusion, le rapport préconise ; Une validation clinique préalable des modèles et simulations, avec une attention particulière portée à la gestion des biais. Une utilisation en complément – et non en remplacement – des essais cliniques traditionnels. Et un dialogue précoce avec les agences réglementaires pour aligner les usages avec les exigences spécifiques. Un appel à manifestation d’intérêt, lancé en avril 2025, vise à identifier des cas pilotes, en vue de valider cliniquement ces approches. Ce travail s’inscrit dans le plan France 2030, qui mobilise 54 milliards d’euros pour soutenir l’innovation dans des secteurs stratégiques, dont la santé.