Entretien : “Des parcours hybrides et une étroite collaboration avec les territoires pour améliorer l’accessibilité des soins” (J.-P. Piermé, LET)
Publié le mardi 01 octobre 2024 à 17h25
teleconsultationDans un contexte de pénurie de ressources expertes au niveau des territoires, la téléconsultation suscite toujours des interrogations quant à son intégration dans les pratiques. A quels défis les opérateurs de la téléconsultation sont-ils confrontés et quelles sont les solutions envisageables pour lui garantir un avenir durable et efficace ? Entretien avec Jean-Pascal Piermé, président du LET.
Quelles sont les difficultés auxquelles les opérateurs de la téléconsultation doivent-ils faire face et quelles réponses y apporter ?
Un premier aspect à considérer est l’intégration des téléconsultations dans les structures de soins. Cela nécessite une coordination à trois niveaux : local, régional et national. Le LET (Les entreprises de télésanté) a fait de nombreux efforts pour faire des propositions de régulation et reste convaincu que le système de santé est un bien commun. Loin d’une logique d’ubérisation, notre approche se veut professionnelle et responsable. Une bonne gouvernance médicale est primordiale, et nous constatons un bon climat de travail avec les institutions nationales, tandis que la collaboration avec les collectivités locales est déjà bien établie.
Dans les années à venir, nous souhaitons travailler en étroite collaboration avec les agences régionales de santé (ARS). Les Assises de la téléconsultation sont justement prévues pour faciliter ce travail, et des initiatives comme e-Meuse Santé illustrent cette dynamique positive.
Les opérateurs de la téléconsultation rencontrent des difficultés liées aux modèles économiques qui sont en pleine évolution. Avant l’instauration d’un statut clair de la pratique, il n’existait pas de base de financement adéquate pour ces activités. Avec l’Assurance maladie, un modèle commence à se structurer pour les activités de télésanté, mais il reste encore du chemin à parcourir. Nos réflexions actuelles privilégient une approche centrée sur les parcours et les équipes, plutôt que sur des actes isolés. Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers un modèle où il est important de différencier le forfait technique versé à l’opérateur et le forfait intellectuel destiné aux professionnels de santé. Nous offrons des services d’organisation, de formation et de technique, et notre modèle économique doit donc évoluer vers un forfait organisationnel et technique.
Se posent ensuite la question des investissements qui sont essentiels pour développer une infrastructure efficace et intégrer la téléconsultation au niveau des hôpitaux. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter encore les usages afin de mieux s’insérer dans les services d’accès aux soins (Sas) et les établissements de santé, ce qui fait partie de la trajectoire à suivre.
Quels parcours de soins devrait-on mettre en place avec les enjeux actuels et futurs de la téléconsultation ?
Les parcours de soins hybrides sont une solution prometteuse, alliant des consultations en présentiel et à distance. Cette approche s’inspire de la téléradiologie, où des médecins radiologues sont présents sur place mais peuvent également intervenir à distance.
Nous avons déjà commencé à mettre en place des téléconsultations assistées, où les patients sont pris en charge par des professionnels paramédicaux. Ce modèle est déjà opérationnel au Canada pour les flux courts, et nous aspirons à le développer ici. Toutefois, cette trajectoire prendra du temps et nécessitera une collaboration accrue avec les structures de soins. Il est nécessaire de gérer cette intégration aux niveaux local, régional et national, simultanément. Le statut de la téléconsultation étant encore récent, notre objectif est de renforcer la collaboration avec les acteurs des régions et des territoires dans le but d’accroître l’efficacité de ces parcours.
Comment la téléconsultation peut-elle se développer sans compromettre l’universalité et la qualité des soins, tout en répondant aux exigences de leur modernisation et de leur rationalisation ?
La question de la qualité des soins est fondamentale pour les sociétés de téléconsultation. En témoigne l’encadrement médical obligatoire qui y est instauré pour garantir un haut niveau de soins. Nous sommes de plus en plus intransigeants sur la qualité médicale, car l’interrogatoire en téléconsultation nécessite une approche différente de celle des consultations en présentiel. La télé-sémiologie impose au médecin de poser des questions spécifiques, qui ne sont pas toujours nécessaires lors d’une consultation en personne.
Il est important de ne pas comparer la téléconsultation au « gold standard » des consultations en présentiel. L’évaluation doit se faire par parcours, afin d’apprécier l’adaptabilité de la téléconsultation et d’orienter les pratiques en conséquence. Les médecins sont déjà en mesure de déterminer ce qui peut être pris en charge par des téléconsultations assistées ou classiques.
En France, il y a plus de 400 millions de consultations par an, dont environ 10 millions sont des téléconsultations, gérées en majorité par des médecins traitants (80 % de médecine générale). En abordant la question de la territorialité, un enjeu majeur des Assises de la téléconsultation, nous prévoyons une augmentation significative des volumes, notamment pour des soins aigus nécessitant des réponses rapides. La complémentarité entre les consultations en présentiel et à distance permettra cette évolution.
Chaque année, au LET, nous publions des études qui mettent en lumière les bonnes et les mauvaises pratiques en télésanté. Cependant, il reste encore beaucoup d’incertitudes à clarifier. L’ensemble des actions se fera en concertation avec les territoires. Nous entrons dans une phase de collaboration plutôt que d’opposition, afin de répondre à notre principale priorité à tous : le besoin d’accès aux soins.
👉 Pour aller plus loin :
L’étude Health&Tech Intelligence intitulée “Téléconsultation : comment réduire l’écart entre le dynamisme de l’innovation et son intégration dans les pratiques ?“, publiée le 11 septembre 2024, est accessible via ce lien.