Assises des préventions en santé 2025 : un appel à structurer, mesurer et pérenniser les politiques de prévention
Publié le mardi 27 mai 2025 à 09h43
Prevention Santé populationnelle santé publiqueLes Assises ont rassemblé élus et experts autour d’un constat partagé : la prévention reste un levier sous-utilisé, mal financé et peu coordonné. Face aux inégalités et à la pression croissante sur les dépenses de santé, les intervenants ont appelé à une politique nationale structurée, fondée sur l’évaluation le pilotage territorial et la mobilisation de tous les acteurs, publics et privés.
Dans un contexte de pressions croissantes sur les systèmes de santé, cette journée ayant eu lieu le 13 mai 2025 à PariSanté Campus visait à dresser un état des lieux des politiques de prévention, partager des retours d’expérience internationaux et amorcer une réflexion collective sur les modèles organisationnels, territoriaux et financiers les plus efficients.
L’événement a été coordonné par Jacques Marceau (président d’Aromates, expert santé à la Fondation Concorde) et a réuni des intervenants de premier plan : responsables institutionnels (CNAM, FHF, AMF), parlementaires, acteurs du monde hospitalier, industriels, chercheurs, représentants associatifs et élus locaux. Les thématiques principales couvraient la prévention des maladies chroniques, la territorialisation, l’innovation, l’éducation à la santé et le financement.
La prévention ne représente que 3 % des dépenses de santé dans les pays de l’OCDE
Dans sa keynote, Dr Guillaume Dedet a dressé un panorama synthétique et chiffré des enjeux et bonnes pratiques en matière de prévention dans les pays de l’OCDE. Il a d’emblée rappelé que les maladies chroniques dont principalement les cancers, maladies cardiovasculaires, diabète sont responsables de près de 80 % de la morbidité et que plus de 60 % de cette charge est liée à des facteurs de risque évitables, principalement le tabac, l’alcool et le surpoids.
Les coûts socioéconomiques sont considérables : par exemple, l’obésité représente 8 % des dépenses de santé et une perte de PIB estimée à 3,3 % dans plusieurs pays européens. Aujourd’hui, dans l’OCDE chaque citoyen supporte une charge fiscale moyenne de 220 euros par an liée à l’obésité.
Le Dr Dedet a également mis en avant qu’aujourd’hui les dépenses de prévention représente seulement 3% des dépenses de santé, soit le même chiffre qu’il y a vingt ans.
L’OCDE a identifié des interventions efficaces, mises en œuvre dans différents pays, parmi lesquelles :
- le Nutri-Score : étiquetage nutritionnel désormais standard dans plusieurs pays européens ;
- l’intervention de formation multimodale en Islande : programme basé sur l’activité physique pour les plus de 65 ans vivant à domicile ;
- l’activité physique sur ordonnance (Suède) : prescription individualisée d’exercice physique ;
- les programmes combinés sur le mode de vie (Pays-Bas) : conseils diététiques, activité physique et coaching comportemental ;
- « Jeunes en Bonne Santé » (Pays-Bas) : programme communautaire pour enfants de 0 à 19 ans.
Le Dr Dedet a déclaré, sur la base de modélisations de l’OCDE, que généraliser ces interventions aurait des effets significatifs sur la santé publique et les économies. Il a également souligné la nécessité de collecter des données standardisées et de prévoir des indicateurs d’impact harmonisés, afin d’assurer la comparabilité entre pays et la viabilité à long terme des programmes.
Construire une culture de la prévention, c’est diagnostiquer, analyser, et investir là où l’impact sur la santé publique et le modèle social est prouvé
Marie-Do Aeschlimann sénatrice des Hauts-de-Seine, rapporteure de la mission d’information sur les politiques de prévention en santé a ouvert son intervention en insistant sur l’importance du pluriel dans l’intitulé, rappelant que la prévention en santé est multiple, multidimensionnelle, à la fois primaire, secondaire, tertiaire, universelle, ciblée et populationnelle. Elle y a ajouté une composante fondamentale : la promotion de la santé, laquelle « dépasse le strict champ sanitaire pour inclure l’urbanisme, la mobilité, le logement ou encore l’environnement ».
Elle a affirmé que la prévention est trop souvent perçue comme une charge, alors qu’elle constitue en réalité « un investissement dans l’avenir ». Prévenir permet d’éviter des hospitalisations, de maintenir les Français en bonne santé, mais aussi d’améliorer la qualité des soins, la productivité et la situation économique générale, dans un contexte de déficits publics majeurs.
Elle est revenue sur les travaux menés depuis mars dans le cadre de la mission d’information sénatoriale sur la prévention en santé, qu’elle co-rapporte. Ces auditions ont mis en évidence deux constats principaux :
- les inégalités d’accès à la prévention reproduisent et accentuent les inégalités d’accès aux soins.
- l’écosystème de la prévention est fragmenté, composé d’une multitude d’acteurs trop peu coordonnés.
Elle a exprimé son étonnement quant à la difficulté de mesurer précisément les dépenses consacrées à la prévention. Selon elle, tant qu’il n’y aura pas de mesures il n’y aura pas de pilotage. Les chiffres disponibles font état de 6 milliards d’euros de dépenses institutionnelles, et de 9 milliards d’euros de dépenses non institutionnelles, données qui remontent à 2016. Les actions de prévention font peu l’objet d’évaluation de leurs résultats soulignant que cela empêche de reconnaître l’impact réel des politiques sur la santé publique et les finances publiques.
Plusieurs acteurs entendus lors de la mission sénatoriale ont plaidé pour un pilotage renforcé, intégré, coordonné au niveau national et territorial. Elle a mis en avant la richesse des initiatives locales, notamment portées par les associations ou organismes complémentaires, tout en déplorant leur manque de soutien, leur financement à court terme et leur faible pérennisation. Des exceptions positives existent notamment dans les politiques relatives au cancer et au tabac qui démontrent que la prévention peut faire l’objet d’un investissement durable. La sénatrice a rappelé l’importance de traiter de nombreux champs : addictions, nutrition, activité physique, vaccination, santé mentale, santé sexuelle, prévention périnatale, repérage de la perte d’autonomie en précisant que la santé mentale est la grande cause nationale de l’année 2025. Elle a appelé à la construction d’une culture globale de la prévention, fondée sur une mobilisation large incluant écoles, employeurs, associations, médias et professionnels de santé. Les services publics tels que la protection maternelle et infantile ou la médecine scolaire doivent être mieux soutenus.
« Les infirmiers scolaires réalisent chaque année près de 18 millions de consultations », a-t-elle rappelé, saluant leur rôle de « référents santé des élèves ». Elle a mentionné un amendement qu’elle a fait adopter récemment visant à reconnaître la santé scolaire comme une spécialité à part entière. Elle a aussi salué les expérimentations de l’article 51, citant l’exemple du programme ICOPE en Isère, mis en œuvre en partenariat avec l’OMS et le CHU de Grenoble. Ce programme vise à prévenir la perte d’autonomie dès 60 ans en identifiant précocement les fragilités physiques, sociales et émotionnelles. Les premiers résultats montrent que 87 % des bénéficiaires déclarent avoir appliqué les conseils reçus, avec un effet positif sur leur bien-être. En conclusion, Marie-Do Aeschlimann a souligné que la prévention est un impératif : social, économique et structurel. Elle a appelé à passer d’une logique curative à une logique d’anticipation.
Responsabilité populationnelle : un modèle intégré et évalué pour transformer la prévention en santé
Antoine Malone a rappelé que les systèmes de santé européens, historiquement conçus pour répondre à des épisodes aigus sur des populations jeunes, ne sont plus adaptés à la réalité actuelle, marquée par une forte prévalence des maladies chroniques et un besoin accru de prise en charge sur le long terme. Il souligne que « le système de soins n’explique que 25 % de l’état de santé d’une population » (source INSPA). L’attentisme vis-à-vis des maladies chroniques entraîne des conséquences lourdes, illustrées par plus de 13 000 amputations liées au diabète en France en une année.
Antoine Malone a présenté le modèle de responsabilité populationnelle, qui repose sur quatre objectifs :
- améliorer la santé de la population,
- renforcer la qualité des prises en charge,
- garantir la soutenabilité économique,
- et préserver la qualité de vie des professionnels.
Ce modèle s’appuie sur la définition de populations cibles sur un territoire donné et sur la co-construction de programmes d’action avec l’ensemble des parties prenantes : établissements, professionnels libéraux, collectivités, associations, patients.
Il a insisté sur le fait que cette démarche n’est ni imposée, ni inscrite dans une obligation réglementaire, mais repose sur une coopération volontaire et contextualisée, propre à chaque territoire. Les programmes sont évaluables et adaptables à d’autres contextes.
Le modèle a été testé sur cinq territoires : Douaisis, Cornouaille, Aube-Sézannais, Deux-Sèvres et Haute-Saône. Deux populations ont été ciblées :
- les personnes à risque ou atteintes de diabète de type 2,
- celles à risque ou atteintes d’insuffisance cardiaque.
Chaque programme repose sur une gouvernance territoriale partagée, incluant des patients partenaires dès la phase de diagnostic des besoins, la conception des parcours et la mise en œuvre des actions.
Une stratification médico-économique permet une lecture fine des besoins, illustrée par une pyramide des risques. Par exemple, les 18 millions de personnes à risque de diabète consomment déjà davantage de soins que la population générale.
Les expérimentations ont produit des résultats tangibles :
- 1 000 professionnels impliqués
- 130 partenaires (associations, entreprises, collectivités…)
- 1 100 actions de prévention et de sensibilisation
- 22 000 personnes sensibilisées
- 18 000 personnes dépistées
- 6 500 patients suivis dans la file active
- Près de 100 patients partenaires engagés
Les indicateurs hospitaliers sont également positifs :
- « Diminution de moitié de la part des admissions via les urgences pour les patients diabétiques »
- « Réduction de moitié des longs séjours (>5 jours) pour diabète »
- Coût moyen d’hospitalisation par patient (2023) : 5 440 €, soit 6 % inférieur à la moyenne nationale ajustée (5 826 €)
Ces résultats ont été obtenus alors même que les territoires pilotes identifiaient davantage de cas. Le modèle a suscité l’intérêt de plus de 30 nouveaux territoires, y compris en Outre-mer. Antoine Malone a précisé que l’engagement des professionnels de santé repose sur une adhésion volontaire, sans incitation financière directe, ce qui favorise le sens au travail pour les équipes. Il a conclu en soulignant que la responsabilité populationnelle constitue un levier structurant pour réorienter le système de santé français vers un modèle préventif, territorial et intégrateur, capable de produire des résultats mesurables, reproductibles et durables.