Etude : comment l’IA repère en amont les patients à risque d’interruption de radiothérapie
Publié le jeudi 18 décembre 2025 à 11h30
IA Biologie CanceroDes chercheurs de l’University of Tennessee Health Science Center ont publié 3 études* montrant comment l’IA et l’analyse de données populationnelles peuvent anticiper les interruptions de radiothérapie.
Ces travaux, publiés en octobre et novembre 2025 dans JCO Clinical Cancer Informatics et JMIR Cancer ont conduit à l’ouverture d’un essai clinique évaluant un programme combinant outils numériques et accompagnement humain, ayant pour but d’améliorer la continuité des soins.
La radiothérapie est un pilier du traitement de nombreux cancers, mais elle impose des protocoles longs et contraignants, reposant sur des séances quotidiennes pendant plusieurs semaines. Dans les zones rurales, les difficultés de transport, la précarité sociale ou l’isolement géographique augmentent fortement le risque d’interruptions non planifiées, un facteur étroitement associé à une baisse de la survie. Dans le Tennessee, où la mortalité par cancer figure parmi les plus élevées des États-Unis, près d’un quart des patients suivant une radiothérapie manquent au moins deux séances programmées. Malgré cet impact clinique majeur, les interruptions de soins sont le plus souvent prises en charge a posteriori, alors que le traitement est déjà fragilisé.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle est généralement mobilisée pour optimiser la précision des traitements. En revanche, elle est plus rarement utilisée pour agir sur les conditions concrètes de continuité des soins. C’est cette approche organisationnelle et populationnelle qu’explore le programme ENRICH.
Trois études pour anticiper les interruptions de radiothérapie
Pour le bâtir, les chercheurs ont procédé par étapes, en s’appuyant sur 3 études complémentaires. La première s’est concentrée sur le niveau individuel. En exploitant les dossiers médicaux électroniques de patients suivis en radiothérapie dans le Tennessee, enrichis par des données sociales et géographiques, l’équipe a développé des modèles d’intelligence artificielle capables d’anticiper le risque d’interruption du traitement. Des grands modèles de langage ont été utilisés pour extraire et structurer des informations souvent disséminées dans les notes cliniques, afin de rendre ces données exploitables à grande échelle. Ces travaux ont été publiés dans JCO Clinical Cancer Informatics.
La deuxième étude s’est penchée sur un aspect plus discret mais déterminant : la structuration et la fiabilité des données cliniques. Les chercheurs ont comparé plusieurs modèles de langage, généralistes et biomédicaux pour automatiser la classification des diagnostics de cancer à partir de textes médicaux. Cette étude a été publiée en 2025 dans la revue JMIR Cancer.
La troisième étude a élargi l’analyse à l’échelle des territoires. À l’aide de modèles de machine learning explicables, l’équipe a étudié la mortalité par cancer du poumon au niveau des comtés du Tennessee, en la reliant à des facteurs géographiques et socio-économiques. Ces résultats ont été publiés dans JCO Clinical Cancer Informatics.
Résultats : des facteurs sociaux bien identifiés
- Près de 25 % des patients suivant une radiothérapie dans le Tennessee manquent au moins deux séances programmées, et environ 10 % interrompent leur traitement pendant une semaine ou plus.
- Des interruptions non planifiées aussi courtes que 2 jours sont associées à une réduction significative de la survie.
- Les analyses montrent que le risque d’interruption est associé à plusieurs facteurs non médicaux, notamment le statut d’assurance (Medicaid), l’isolement social, la vulnérabilité socio-économique du lieu de résidence et la distance au centre de radiothérapie.
- Les modèles d’IA développés par l’équipe permettent de repérer en amont des profils de patients plus exposés à ces facteurs, en croisant données cliniques issues des dossiers médicaux, indicateurs sociaux et informations géographiques.
Ces travaux ont conduit au lancement d’un essai clinique de 200 patients à Memphis évaluant ENRICH (Equitable Needs-based Radiotherapy Interruption Care for Health), un programme qui combine donc repérage précoce des patients à risque et accompagnement humain ciblé.
Lorsqu’un patient est identifié comme susceptible d’interrompre sa radiothérapie, il est orienté vers un Community Health Support Specialist, un professionnel formé à l’accompagnement des patients atteints de cancer. Son intervention est volontairement non médicale et centrée sur des difficultés concrètes : organisation des trajets vers le centre de soins, mise en place de rappels de rendez-vous, aide à la compréhension du calendrier de traitement, ou orientation vers des aides sociales et communautaires lorsque des contraintes financières ou familiales sont identifiées.
Après l’IA, le soutien humain…
L’objectif n’est pas d’assurer un suivi permanent, mais d’intervenir aux moments les plus à risque du parcours, afin de sécuriser la régularité des séances quotidiennes de radiothérapie.
« Nos recherches montrent que nous pouvons identifier avec précision quels patients présentent le risque le plus élevé d’interruption de traitement avant même qu’ils ne commencent leur thérapie », déclare David Schwartz, co-auteur des études. « Cela nous permet de déployer de manière proactive des ressources de soutien là où elles sont le plus nécessaires, avec le potentiel d’améliorer à la fois l’achèvement des traitements et les résultats en cancérologie, tout en s’attaquant simultanément aux inégalités de santé. »
L’IA, un outil au service de l’organisation des soins
Pour Arash Shaban-Nejad, qui pilote la stratégie IA du projet, « l’intégration d’une intelligence artificielle avancée avec un soutien aux patients ancré dans les communautés représente un nouveau paradigme de la médecine de précision, qui reconnaît que des soins oncologiques optimaux nécessitent de s’attaquer non seulement à la biologie de la maladie, mais aussi aux défis sociaux et logistiques auxquels les patients sont confrontés ».
L’équipe travaille désormais à l’extension d’ENRICH à d’autres territoires du Tennessee. Cette approche pourrait, à terme, être transposée à d’autres maladies chroniques, pour lesquelles la continuité des soins dépend autant de l’organisation du quotidien que des traitements eux-mêmes.
* Cancer Diagnosis Categorization in Electronic Health Records Using Large Language Models and BioBERT: Model Performance Evaluation Study
Hashtarkhani S, Rashid R, Brett CL, Chinthala L, Kumsa FA, Zink JA, Davis RL, Schwartz DL, Shaban-Nejad A
JMIR Cancer 2025;11:e72005
https://cancer.jmir.org/2025/1/e72005
*Leveraging Centralized Health System Data Management and Large Language Model–Based Data Preprocessing to Identify Predictors for Radiation Therapy Interruption.
JCO Clin Cancer Inform 9, e2500218(2025).
https://ascopubs.org/doi/10.1200/CCI-25-00218
*Comparative Evaluation of Explainable Machine Learning Versus Linear Regression for Predicting County-Level Lung Cancer Mortality Rate in the United States.
JCO Clin Cancer Inform 9, e2400310(2025)
https://ascopubs.org/doi/10.1200/CCI-24-00310