Stratégie IA en France : 1,3 Md€ investis, mais la Cour des comptes appelle à « changer d’échelle » et à accélérer le rythme
Publié le vendredi 21 novembre 2025 à 14h43
IA Institutions GouvernanceLa France progresse au 5ᵉ rang mondial en IA et attire des grands investissements, mais la diffusion des usages, la gouvernance et les compétences restent des chantiers ouverts selon la Cour de comptes.
- 1,3 milliard d’euros investis de 2018 à 2022 dans une première phase axée sur la recherche, contribuant à structurer un écosystème IA avec pôles d’excellence et infrastructures.
- La gestion des fonds en première phase a été jugée lacunaire, avec des moyens dispersés et un suivi insuffisant des crédits alloués.
- Plusieurs priorités comme la formation, l’impact sur l’emploi, l’éthique et l’inclusivité restent incomplètement couvertes malgré les avancées.
- Le budget de la deuxième phase (2023-2025) a été réduit d’un tiers à 1,1 milliard d’euros, avec seulement 35% des crédits consommés à mi-2025.
- La France est désormais 5ᵉ au Global AI Index 2025 et 3ᵉ mondiale en recherche et formation en IA, avec plus de 4 000 chercheurs et 1 000 startups IA actives.
- Les startups IA ont levé près de 2 milliards d’euros en 2024, faisant de la France le premier pays européen pour les investissements étrangers en IA.
- L’adoption de l’IA reste limitée hors des spécialistes, notamment dans les entreprises, administrations et formations, avec des dispositifs de soutien jugés modestes.
- La troisième phase lancée en 2025 vise à massifier l’usage en entreprise, avec nécessité d’un pilotage renforcé, d’une meilleure coordination interministérielle et partenariats publics-privés.
- Cinq axes prioritaires : ancrer formation-recherche, renforcer calcul, transférer vers industrie, IA de confiance et frugale, efficacité de l’action publique.
Recommandations appliquées à la santé :
- Renforcer le pilotage intersectoriel pour coordonner les actions entre acteurs publics, privés et académiques.
- Améliorer les infrastructures de calcul dédiées à la recherche en santé numérique.
- Soutenir l’innovation industrielle autour des solutions d’IA appliquées à la santé.
- Accompagner les établissements de santé dans l’intégration opérationnelle de l’IA, en tenant compte des exigences éthiques et réglementaires.
- Structurer l’adoption de l’IA dans les processus hospitaliers, aujourd’hui encore limitée.
- Accélérer l’adaptation des formations initiales pour intégrer l’IA dans les pratiques médicales, le diagnostic, la prévention et le suivi des pathologies.
- Renouveler les contenus pédagogiques pour médecins et professionnels de santé afin d’accompagner les transformations des métiers.
- Clarifier et consolider la gouvernance des données de santé, en préservant souveraineté, qualité et protection des données.
- Faciliter la mise en relation entre développeurs d’IA et détenteurs de données dans un cadre sécurisé et conforme.
1,3 milliard d’euros investis : une première phase centrée sur la recherche, mais aux moyens dispersés
La Cour des comptes analyse d’abord la période 2018-2022, qui a posé les bases de la politique publique d’IA. Axée sur la recherche, cette phase s’appuie sur 1,3 Md€ de moyens hétérogènes dont le suivi a été jugé lacunaire. Elle a contribué à structurer un écosystème, avec des pôles d’excellence, des infrastructures de calcul et l’essor de startups. Cependant, plusieurs priorités identifiées dès le rapport Villani de 2018 restent incomplètement couvertes comme :
- La formation.
- L’impacts sur l’emploi.
- Les enjeux éthiques.
- L’inclusivité et l’écologie.
Les avancées sont limitées dans la transformation de l’action publique, la défense, la sécurité et la diffusion de l’IA dans l’économie.
Un recentrage budgétaire en 2023-2025 : 1,1 milliard d’euros pour massifier l’IA
La deuxième phase (2023-2025), annoncée en 2021, visait la massification des usages. Elle a été réorientée face à la montée inattendue de l’IA générative. Le budget programmé (1,1 Md€) a diminué d’un tiers et seulement 35 % des crédits avaient été consommés au 30 juin 2025. La gouvernance reste complexe malgré quelques coordinations avec France 2030. La Cour note toutefois des avancées :
- La France passe à la 5ᵉ place du Global AI Index en 2025 et au 3ᵉ rang mondial en recherche et formation.
- Plus de 4 000 chercheurs travaillent désormais sur l’IA.
Plus de 1 000 startups IA actives en 2025
La dynamique sur l’IA générative est marquée : d’un seul acteur en 2023, l’écosystème compte une dizaine de nouveaux entrants et plus de 1 000 startups actives ont levé près de 2 Md€ en 2024. La France devient premier pays européen pour les investissements étrangers en IA et accueille des centres de recherche de leaders mondiaux. Les capacités de calcul ont été renforcées, notamment avec un supercalculateur de nouvelle génération. Les initiatives sur la confiance et la frugalité progressent, tout comme la présence de la France dans les enceintes internationales, illustrée par le Sommet pour l’action sur l’IA à Paris (février 2025).
Diffusion encore limitée dans les formations et les établissements
Mais la Cour relève que l’adoption de l’IA au-delà des spécialistes reste limitée : entreprises, administrations, étudiants et citoyens ne sont pas suffisamment accompagnés. Les dispositifs de soutien à la demande en solutions IA sont jugés modestes. La transformation publique est jugée en retard, et les chantiers de formation initiale et continue demeurent ouverts. Les actions auprès des territoires restent marginales.
Troisième phase : réussir le changement d’échelle
Lancée début 2025, la troisième phase vise à accélérer l’usage de l’IA dans les entreprises. Selon la Cour, l’IA est devenue une technologie à usage général qui nécessite un changement d’échelle et plusieurs préalables : meilleure prise en compte des contraintes budgétaires, évaluation des résultats, renforcement du pilotage interministériel, complémentarité accrue avec l’UE, les territoires et le secteur privé.
- Cinq axes de consolidation doivent être poursuivis :
- Ancrer l’écosystème formation-recherche-innovation ;
- Renforcer les capacités de calcul via de nouveaux partenariats ;
- Amplifier les transferts vers l’industrie ;
- Mettre l’IA au service du bien commun en renforçant confiance et sécurité ;
- Répondre aux enjeux de frugalité, énergie et soutenabilité.
Cinq défis à replacer au cœur de la stratégie
La Cour des comptes recommande d’ancrer durablement l’excellence de la formation et de la recherche en IA, de mieux articuler les politiques publiques avec les infrastructures informatique et énergétique, ainsi que d’accélérer la transformation et l’efficacité de l’action publique dans le secteur de la santé. D’autres priorités incluent le renforcement de la sécurité des données, le développement de clouds souverains en e-santé, et la préparation des professionnels aux évolutions du marché du travail liées à l’IA. Le rapport insiste sur la nécessité d’une évaluation approfondie des résultats des phases précédentes et la mise en œuvre de nouveaux programmes concertés avec l’Union européenne et les acteurs institutionnels concernés.
Les cinq défis encore insuffisamment abordés :
- Adapter les formations et anticiper les mutations du marché du travail ;
- Accélérer l’adoption par les entreprises ;
- Investir dans la donnée, son accès, sa qualité et le stockage souverain ;
- Construire une ambition réaliste sur les composants et les infrastructures ;
- Faire de l’IA un levier d’efficacité de l’action publique.
Dix recommandations pour une politique publique renouvelée
La Cour des comptes formule dix recommandations, dont :
- La création d’un secrétariat général dédié pour renforcer le pilotage et coordonner État, territoires, UE et secteur privé ;
- Une stratégie pérenne pour la formation, la recherche et l’innovation ;
- L’accroissement coordonné des capacités de calcul ;
- Un soutien renforcé à la filière industrielle, y compris via la commande publique ;
- La poursuite des engagements en matière d’IA de confiance et de frugalité ;
- L’adaptation des formations et de la formation continue ;
- L’accélération de l’adoption par les entreprises, avec diffusion des cas d’usage ;
- Le renforcement de l’accès à la donnée et de sa protection ;
- Une articulation renforcée avec les politiques sur les composants et l’énergie ;
- La transformation des administrations via l’IA et des mécanismes incitatifs.
IA et santé : des investissements structurants, mais un pilotage à consolider
La stratégie nationale pour l’IA place la santé parmi les secteurs les plus concernés par les usages de l’IA. Par exemple le cluster PRAIRIE-PSAI, au sein de l’Université Paris Sciences et Lettres, se concentre sur la santé, la société et les humanités digitales. Son budget s’élève à 75 millions d’euros, incluant des apports privés issus d’entreprises comme GE Healthcare. Le programme encourage la coopération entre chercheurs, ingénieurs et acteurs du secteur, tandis que certains pôles IA nouent des partenariats industriels et hospitaliers pour développer des projets translationnels. Le rapport insiste sur l’adaptation des formations pour intégrer les usages de l’IA dans les pratiques médicales, la prévention, le diagnostic, le suivi des pathologies ou encore le développement de thérapies. Il souligne aussi la nécessité de revoir les contenus pédagogiques destinés aux médecins et autres professionnels de santé pour accompagner les transformations liées à l’IA. Le dispositif Compétences et métiers d’avenir vise l’évolution des compétences dans les secteurs jugés prioritaires, comme la santé.
L’intégration de l’IA dans les processus hospitaliers est identifiée comme un chantier encore peu structuré. Le rapport prévoit un accompagnement des établissements et des professionnels pour accélérer une adoption conforme aux normes éthiques et réglementaires. La formation continue et l’adaptation des pratiques face aux évolutions technologiques sont mises en avant.
Le rapport appelle aussi à renforcer l’intégration du secteur santé dans la politique publique de l’IA en s’appuyant sur un réseau d’acteurs publics, privés et académiques. Parmi les recommandations figurent le pilotage intersectoriel, l’amélioration des infrastructures de calcul au service de la recherche en santé numérique et le soutien à l’innovation industrielle autour des solutions d’IA. Il insiste également sur l’accompagnement des transformations professionnelles et sur l’anticipation des compétences nécessaires pour répondre aux évolutions rapides du secteur.