DTx France : « L’enjeu réel pour les thérapies digitales reste la preuve clinique » (E Lepoutre, Bliss)
Paris - Publié le vendredi 30 juin 2023 à 18 h 26 - n° 16586 [ENTRETIEN] « On n’appelle pas « preuve clinique » une expérimentation faite par un seul médecin sur une courte période avec quelques patients qu’il suit dans son service. Ce genre d’étude n’a de valeur qu’à titre informatif. La médecine basée sur les preuves nécessite davantage de rigueur méthodologique et surtout plus de temps. »Dans le cadre d’un entretien accordé à Health & Tech Intelligence en amont de la journée - organisée le 4 juillet 2023 à Paris par TechToMedTechToMed TechToMedDTx France(et dont H&TI est partenaire), Etienne LepoutreEtienne LepoutreEtienne Lepoutre, CEOCEOChief Executive Officer de la société française Butterfly TherapeuticsButterfly Therapeutics (ex-L’effet papillon), revient en détail sur les enjeux de déploiement de Bliss DTx, une thérapie numérique présentée comme un « dispositif médical (DM) de classe I (risque faible) qui utilise le potentiel thérapeutique de la réalité virtuelle, de l’image et du son pour la prise en charge de la douleur en sédation ». Développée par Butterfly Therapeutics, cette DTxDTxDigital therapeutics (thérapies numériques) est utilisée en complément à l’anesthésie.
Selon Etienne Lepoutre, à l’image d’autres produits de santé, les règles du marché pour les DTx se résument aux preuves cliniques ainsi qu’à une supériorité organisationnelle et un impact médico-économique démontrés.
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DTx France : l’innovation au-delà des paroles ?
Vous intervenez à l’occasion de DTx France au cours d’une table ronde intitulée « Les DTx doivent-ils être évaluées différemment ? ». Une question au centre des préoccupations de l'écosystème…
Pour moi, une DTx n’est ni un médicament ni un DM à proprement parler. Notre produit, Bliss DTx, est réglementairement un DM, et il est comparable au médicament. Donc, en termes d'évaluation, les mêmes protocoles du médicament s’appliquent à nous. Est-ce que le système tel qu’il est fait aujourd’hui permet de produire des DTx évalués ainsi ? Je ne crois pas. Est-ce qu’il va falloir un jour avoir une échelle dédiée ? Certainement. Une échelle dédiée à une nouvelle famille de produits, parce que les frontières de l’évaluation entre médicament et DM sont en train de tomber.
Aujourd’hui, la HASHASHaute Autorité de Santé dit : si votre produit numérique coche à la fois des cases de DTx et de télésurveillance et du DM, vous vous êtes éligible aux trois domaines. Cela veut dire que l’on va vers la naissance de produits hybrides qui cumulent différentes catégories. De plus, un produit peut à la fois faire du diagnostic et du traitement. La question à ce stade est la suivante : si les DTx cumulent traitement et télésurveillance, comment doit-on les évaluer ? Comme des outils de télésurveillance ou des DM à visée thérapeutique ?
Qu’attendez-vous de cette journée du 4 juillet ?
On a aujourd’hui l’impression qu’il existe des centaines de DTx sur le marché. Or il y en a très peu en France, en réalité. J’attends d’un événement comme DTx France qu’il mette en avant les start-ups avec qui on peut parler de produits, de solutions qui correspondent médicalement à des DTx, avec qui on peut partager des connaissances. Ce qui est important, c’est de s’appuyer sur des exemples pour comprendre comment les choses évoluent.
Quel modèle économique à l’aire du dispositif Pecan ?
Quel a été le business modèle de Bliss DTx jusque-là ?
L’hôpital étant aujourd’hui sous contraintes financières, il est difficile de lui vendre nos produits. D’un côté, les cycles d’achats sont trop longs (...), de l’autre, il y a un deuxième cycle long, celui d’expliquer que Bliss est une solution de réalité virtuelle. Nous faisons beaucoup d’acculturation.
Pour nous, le premier sujet, c’est comment vendre notre solution à l’hôpital. Aujourd’hui, on le fait dans le cadre du GHSGHSGroupe homogène de séjours. On a des hôpitaux qui achètent nos solutions et les utilisent avec des patients grâce à des forfaits de soins financés par les autorités. C’est aujourd’hui un financement par la dépense hospitalière.
Les financements se font via le budget de l’hôpital, des forfaits hospitaliers, des enveloppes projets non pérennes, des dons d’associations de patients, des enveloppes spéciales, etc. C’est très instable et c’est malheureusement le lot de beaucoup d’innovations.
D’un côté l’hôpital est sous contraintes financières… Les cycles d’achats sont très longs, jusqu’à un an et demi, deux ans, et totalement inadaptés à la pénétration rapide des innovations. De l’autre, il y a un deuxième cycle long, celui d’expliquer l’innovation, la sédation numérique non chimique, avec une solution de réalité virtuelle. Nous faisons beaucoup de formation et d’acculturation.
Votre modèle devrait-il évoluer avec la mise en œuvre de Pecan ?
Pour le moment, Pecan n’est pas un sujet pour nous. Mais l’esprit de la prise en charge des DTx est le bon et nous attendons ses évolutions.
Pour ce qui est du dispositif d’aujourd’hui, ses modalités sont encore en cours de finalisation. On ne sait pas à combien cela va être remboursé, si cela va être un forfait, comment cela fonctionnera. C’est à suivre. Bliss DTx n’a pas déposé de dossier, et ce n’est pas une priorité pour nous, pour le moment.
Enjeux actuels et stratégie de développement
Quels sont les enjeux dans les prochains mois et prochaines années pour Bliss DTx et pour le développement des thérapies numériques en général ?
Pour nous, le sujet est extrêmement simple : le développement de l’usage et de l’expérience. Passer le cap des « early adopters ». Plus les médecins utilisent Bliss DTx, plus ils en sont satisfaits, plus ils en parlent, plus vite nous passerons d’une innovation à un standard de prise en charge.
La prise en charge ambulatoire est en train de changer mais l’enjeu principal reste la preuve clinique, la pratique et le partage d’expérience entre pairs, spécialité par spécialité. La prise en charge ambulatoire est en train de changer, et l’enjeu principal est la preuve clinique pour ces nouveaux usages, la pratique et le partage d’expérience entre pairs, spécialité par spécialité.
Notre cible, la douleur, n’est pas une maladie, et est présente dans toutes les spécialités. Le geste et la prise en charge sont différent d’une spécialité à l’autre. On a donc autant d’indications que de situations cliniques où il y a de la douleur. De ce fait, le marché est très grand et représente une bonne opportunité commerciale. C’est en même temps un challenge parce que la douleur n’appartient pas à une seule spécialité médicale.
Quels freins au développement des DTx identifiez-vous ?
Les freins sont évidemment liés au financement et aux preuves cliniques. La manière dont sont faits les budgets à l’hôpital est extrêmement complexe, elle doit s’appuyer sur une preuve clinique qui met du temps à être fabriquée. Plus il y aura de preuves cliniques et médico-économiques, plus facile sera de convaincre un hôpital d’acquérir le produit.
De plus en plus de DTx se développant en France et dans le monde, quelle est la meilleure stratégie selon vous pour se démarquer de la concurrence ?
Pour moi, les règles du jeu sont les mêmes dans tout le secteur de la médecine : la preuve clinique, la sécurité, la supériorité organisationnelle et l’impact médico-économique. Dans le système de santé, le payeur finance un service rendu. Si le service rendu est supérieur à un produit existant, il paiera plus cher ; s’il est le même, il peut payer moins cher pour éventuellement remplacer un produit par un autre. Les DTx ne font pas exception. Leur évaluation est la clé.
… Et pour accélérer l’adoption par les prescripteurs ?
Les DTx ne révolutionneront pas la mise sur le marché ou la stratégie de promotion mais les modalités de prise en charge et le type de substance utilisée pour traiter. Faciliter le financement, l’accès à la solution, comme pour tous les produits de santé. Et après aussi : le développement clinique, la collaboration et la recommandation scientifique, la communication, la visite médicale… Les DTx ne vont pas se déployer plus facilement que les autres produits de santé.
Peut-être qu’il y a une idée qu’il faut changer, aujourd’hui : que le traitement efficace ne peut être que chimique ou biologique. Parfois, il peut être électronique. Les DTx ne révolutionneront pas la mise sur le marché ou la stratégie de promotion, mais les modalités de prise en soin et le type de substance utilisée pour soigner les patients.
Des essais cliniques concluants et des ambitions pour l’avenir
Vous avez déjà lancé plusieurs essais cliniques dont un qui a déjà été publié. Comptez-vous en publier d’autres bientôt pour renforcer votre argument de la médecine basée sur les preuves ?
Le problème du marché des DTx aujourd’hui est qu’il attire des gens qui ont confondu la santé avec un marché retail. Et cela risque de causer du tort à beaucoup de monde. Les autorités de santé devraient être plus strictes avec ce genre d’agissements et avec les revendications commerciales des entreprises. Nous tenons à la qualité de la preuve clinique d’efficacité. Son gold standard c’est la Phase III randomisée multicentrique contre standard of care. C’est notre priorité et c’est aussi le standard du secteur du médicament auquel nous nous comparons. Nous en avons publié une, deux autres seront publiées prochainement et plusieurs nouvelles études sont encore en lancement.
On n’appelle pas « preuve clinique » une expérimentation faite par un seul médecin sur une courte période avec quelques patients qu’il suit dans son service. Ce genre d’étude n’a de valeur qu’à titre informatif. La médecine basée sur les preuves nécessite davantage de rigueur méthodologique et surtout plus de temps.
Cela sera, et c’est probablement déjà un grand enjeu.
Le problème du marché des DTx aujourd’hui est qu’il attire des gens qui ont confondu la santé avec un marché retail. Et cela risque de causer du tort à beaucoup de monde. Les autorités de santé devraient être plus strictes avec ce genre d’agissements et avec les revendications commerciales des entreprises. La santé n’est pas un marché comme les autres. Alors que le numérique amène des pratiques de communication plus grand public…
Essais cliniques menés sur Bliss DTx
Essais cliniques menés sur Bliss DTx
• L’étude REVEH, dans 5 sites différents en France : Therapeutic Virtual Reality : Impact on the Management of Pain and Anxiety Related to Hematology Care (REVEH)
• L’étude VIDAMO, au CHCHCentre hospitalierRU de Brest : Virtual Reality Technology on Pain Perception and Anxiety Levels in Adolescents and Young Adults During Third Molar Germ Avulsion Surgery (VIDAMO)
• L’étude LURVIDOC, au CH Poissy Saint-Germain : Effect of VIrtual Reality Spectacles on the Management of Pain and Anxiety (LURVIDOC)
• L’étude REAVIST, au CHU de Rennes : Evaluation of the Influence of the Virtual Reality Helmet on Pain During IUD Insertion (REAVIST)
Ayant été vous-même responsable de l’évaluation des médicaments et produits de santé chez IqviaIqvia, pensez-vous que la proposition d’un score d’évaluation par l’InesInstitut national de la e-santé - et notamment son partenariat avec Iqvia dans ce sens - soit une bonne approche pour répondre au besoin d’une évaluation fiable des DTx ?
Pour moi, la démarche de l’Ines est la bonne. On a besoin d’un « thermomètre » objectif car la solution la plus efficace n’est pas celle sur laquelle on communique le mieux mais celle qui a été la mieux évaluée. Avec son score, l’Ines pose les bases d’une approche pragmatique basée sur des faits et non sur des postures de communication.
Quel est le bilan des levées de fonds de la start-up Bliss DTx depuis sa création ?
Nous ne faisons pas de certaines questions liées au marketing et à la communication financière une priorité, parce que nous considérons qu’ils n’ont que très peu d’importance vis-à-vis du grand public. Nous n’avons pas de problème de financement, mais nous ne communiquons pas davantage sur ces sujets.
Avez-vous des projets de développement en dehors de la France ?
Oui, bien sûr. Nous faisons les choses dans l’ordre à la hauteur de nos moyens. Bliss peut être utilisée dans n’importe quel pays du monde, immédiatement. Notre solution est marquée CECEConformité Européenne, notre premier marché est donc naturellement l’Europe. Ce seront ensuite, sans aucune surprise, les États-Unis. Nous communiquerons là-dessus le moment venu.
Aperçu de la solution Bliss DTx :
Butterfly Therapeutics (ex-L'effet papillon)
Activité : Entreprise de santé dédiée à la prise en charge augmentée de la douleur et de l’anxiété. Butterfly Therapeutics développe des protocoles de prise en charge combinant des solutions complémentaires, innovantes, non médicamenteuses, avec une approche scientifique et rigoureuse.
Bliss DTx est un son dispositif médical (classe 1) qui utilise le potentiel thérapeutique de la réalité virtuelle, de l’image et du son pour la prise en charge de la douleur
Siège : Laval
Création : 2011