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Exclusif « Nous souhaitons instaurer une utilisation éthique des données de santé » (Émeric Lemaire, Arkhn)

Paris - Publié le jeudi 14 mai 2020 à 15 h 38 - n° 10707 « Instaurer de la confiance au sein de l’écosystème et une utilisation éthique des données de santé » est l’idéal vers lequel ArkhnArkhnArkhn aspire à tendre, souligne Émeric LemaireÉmeric LemaireÉmeric Lemaire, l’un des co-fondateurs de cette société qui produit des solutions open source afin de standardiser les données de santé pour les établissements de soins.

Dans un entretien accordé à Health & Tech Intelligence, il revient sur les raisons qui ont poussé son équipe à abandonner le statut d’organisation à but non lucratif au profit de celui de société par actions simplifiée (SAS), indiquant qu’il est plus complexe « de contractualiser avec les établissements et de réaliser des levée des fonds quand on est une association » mais que « le but du projet n’a pas changé ». Il en profite également pour rectifier les propos de son ancien collègue, Alexis ThualAlexis ThualAlexis Thual - qui a depuis quitté Arkhn -, interrogé par H&TI en 2019 : non, la société n’a pas vocation à disparaître, rassure Émeric Lemaire, insistant sur le fait que l’accompagnement est au centre de son activité, et ce sur le long terme.

Questionné aussi sur la gestion de la crise sanitaire actuelle, il estime « difficile d’apporter les changements structurels nécessaires en si peu de temps » mais explique que son équipe peut « aider les hôpitaux sur les données spécifiques au coronavirus ». Il évoque notamment la présence d’Arkhn au sein de la task force Covid-19 de l'AP-HPAssistance Publique - Hôpitaux de Paris, constituée fin avril au sein de l’entrepôt de données de santé (EDS) de l'établissement « pour analyser et suivre l'épidémie ».
Émeric Lemaire fait partie des 3 fondateurs principaux d'Arkhn, avec Théo Ryffel et Cornéliu Malciu. - © Arkhn
Émeric Lemaire fait partie des 3 fondateurs principaux d'Arkhn, avec Théo Ryffel et Cornéliu Malciu. - © Arkhn

Vers un statut qui entérine la volonté d’intérêt général de la société (EsusESUSEntreprise solidaire d'utilité sociale)

Arkhn n’est plus une organisation à but non lucratif mais une SASSASSociété par actions simplifiées depuis août 2019. Pourquoi ce choix ?

Emeric Lemaire : Le but du projet n’a pas changé. La raison pour laquelle nous sommes devenus une SAS c’est parce qu’il est plus compliqué de contractualiser avec les établissements et de réaliser des levée des fonds quand on est une association. Et il pouvait y avoir une incompréhension de la part des acteurs sur ce point.

On cherche cependant à obtenir un statut qui entérine notre volonté d’intérêt général, comme le statut Esus (Entreprise solidaire d’utilité sociale).

« Une preuve de notre réussite serait la disparition de notre organisation », indiquait dans un entretien accordé à H&TI en janvier 2019 Alexis Thual, l’un des co-fondateurs, qui a depuis quitté Arkhn.

Notre travail consiste aussi à accompagner les établissements dans la gestion de nos solutions et des standards d’interopérabilité.Les choses auraient pu être différentes : si les logiciels médicaux avaient été pensés pour l’interopérabilité, notre travail actuel ne serait pas nécessaire. Ce travail prendra fin lorsque l’ensemble du système de santé aura transitionné vers une architecture pérenne pour la de gestion des données cliniques.

Mais cela ne signifie pas la disparition d’Arkhn : notre travail consiste également à accompagner les établissements dans la gestion de nos solutions et des standards d’interopérabilité, qui nécessitent d’être continuellement mis à jour pour s’adapter au mieux aux besoins des hôpitaux. Cela demande une expertise qui sort du champ habituel des équipes médicales.

Finalement, vous voulez dire non pas que la preuve de votre réussite serait votre disparition mais que les établissements n’auraient pas dû avoir besoin de vous à la base.

Exactement. D’un côté, des discussions et des projets de lois sur la régulation du format de stockage et d’accès aux données existent depuis longtemps mais elles n’ont jusqu’à présent jamais vraiment abouti. D’un autre côté, il faudrait plus de moyens aux hôpitaux pour leur permettre de réaliser ces importantes transformations de leurs systèmes d’informations.

L’accompagnement au centre de l’activité d’Arkhn

Proposer un accompagnement à vos partenaires, les guider dans l’utilisation de votre solution, est donc au cœur de votre action.

Tout à fait. Il y a encore énormément de papier dans le domaine de la santé et donc un besoin fort de guider les professionnels de santé dans la transformation digitale. Le but de notre société est d’apporter à la fois des outils permettant cette transition, mais également un suivi très important sur l’utilisation de ces outils. Encore plus que dans d’autres secteurs, cela nous semble primordial que l’hôpital soit accompagné dans l’utilisation d’un nouvel outil, afin que celui-ci soit utilisé le plus efficacement possible.

Le besoin de formation des professionnels au numérique est justement l’un des principaux sujets qui est ressorti du Tour de France de la e-santé organisé par l’ANSAgence du numérique en santé (ex Asip Santé). Par ailleurs, de plus en plus de formations sont créées en ce sens, comme des filières data scientists appliquées au domaine de la santé.

Oui, on voit notamment en santé publique qu’il y a de plus en plus de masters de ce type. Cela nous semble aller dans la bonne direction. Un médecin en formation n’est que très peu amené pour l’instant à interagir avec de l’analyse de données alors que c’est actuellement déjà son rôle de facto à l’hôpital, en particulier s’il est amené plus tard à participer à des études de recherche clinique.

Nous faisons notre possible pour endosser ce rôle de data scientist : nous souhaitons permettre au médecin de faire ses analyses simplement et de l’accompagner dans cette interaction avec les données.Est-ce que cette organisation doit changer ? Est-ce qu’un médecin doit vraiment apprendre à être aussi data scientist, qui est un métier à part entière ? Faire travailler des chefs de service en binôme avec un data scientist pourrait être une alternative, mais cela demande beaucoup de moyens supplémentaires.

Nous, Arkhn, faisons notre possible pour endosser ce rôle de data scientist : nous souhaitons permettre au médecin de faire ses analyses simplement et de l’accompagner dans cette interaction avec les données. La data analyse, ce n’est pas de la data science, c’est quelque chose de très « métier » pour laquelle il faut comprendre les patients, les enjeux médicaux, le fonctionnement de son hôpital, etc. Notre but est que ce soit techniquement le plus simple possible pour laisser le plus de temps métier possible aux médecins.

Arkhn, membre de la task force Covid-19 de l’AP-HP

Que pourrait apporter Arkhn dans le cadre d’une crise sanitaire comme celle que nous vivons actuellement avec le coronavirus ?

En ce qui concerne la crise du Covid-19, le délais est un peu court. Certaines personnes l’expliquent très bien : les problèmes de fonds, comme le développement d’un vaccin, ne peuvent pas se traiter en urgence. Pour anticiper ce type de crise, il faut agir à l’avance en investissant structurellement dans l’infrastructure technique des établissements.

Ce que l’on peut apporter, c’est beaucoup plus de visibilité sur les données. Si la donnée est bien structurée, bien nettoyée, on y accède beaucoup plus facilement, ce qui est crucial dans le contexte actuel. D’un point de vue opérationnel, cela peut servir à identifier les facteurs de risque à partir des antécédents médicaux, à prioriser les cas graves et gérer les ressources, ou tout simplement à avoir une vision d’ensemble de la situation là où de nombreux établissements comptabilisent à la main les cas de Covid-19 et en informent par téléphone les services de réanimation.

Du point de vue de la recherche, cela permet de mieux suivre la propagation du virus, d’avoir beaucoup plus d’informations sur la maladie en évaluant par exemple l’influence des comorbidités, voire même de s’appuyer sur des signaux faibles pour guider la recherche clinique.

Donc difficile pour Arkhn d’apporter une réponse dans l’immédiat à la pandémie de coronavirus actuelle.

C’est difficile d’apporter les changements structurels nécessaires en si peu de temps, mais nous pouvons aider les hôpitaux sur les données spécifiques au coronavirus.

[Covid-19 :] C’est difficile d’apporter les changements structurels nécessaires en si peu de temps, mais nous pouvons aider les hôpitaux sur les données spécifiques au coronavirus.Pour contextualiser, dans un hôpital il y a plusieurs dizaines d'éditeurs de logiciels qui cohabitent, qui collectent de la donnée (le logiciel des urgences, le logiciel du bloc opératoire, le DPIDPIDossier Patient Informatisé, etc.). Ils n’ont cependant jamais été vraiment pensés pour partager les donnée entre eux (ils ne sont pas interopérables by design) mais juste pour les stocker. Les formats de stockage utilisés sont la plupart du temps propriétaires, ce qui complique encore les échanges d’informations. Le but d’Arkhn c’est de regrouper les données d’un même établissement dans un datalake (ou entrepôt de données) standard pour les rendre facilement accessibles et utilisables. Nous changeons le paradigme d’accès aux données cliniques pour palier au manque d’interopérabilité et pour simplifier le travail des médecins, des équipes de recherche et du personnel administratif.

Standardiser l’ensemble des bases de données d’un hôpital n’est pas possible en un cours laps de temps, mais nous pouvons prioriser cette tâche en travaillant dans un premier temps sur les données spécifiques au coronavirus, qui représentent en général quelques dizaines de variables. Nous faisons par exemple partie de la task force de l'AP-HPAssistance Publique – Hôpitaux de Paris, constituée pour analyser et suivre l’épidémie.

« Un moyen d’accélérer la démarche serait de collaborer avec les éditeurs »

En combien de temps vous pouvez atteindre ce résultat dans un nouvel hôpital ?

Nous transformons les données en FHIRFHIRFast Healthcare Interoperability Resources, une norme pensée pour l’interopérabilité, mais cela demande un travail important. Si l’opération concerne seulement certaines données ciblées, c’est plus accessibles et cela peut prendre de un à deux mois dans le meilleur des cas. Mais si l’opération concerne des données issues de nombreux logiciels, le temps passé à effectuer le processus dans son intégralité est plus long.

Un moyen d’accélérer la démarche serait de collaborer avec les éditeurs. Pour l’instant, nous travaillons avec l’hôpital, qui nous donne accès à ses bases de données mais nous n’avons pas de partenariats avec des éditeurs, dont certains gardent les données captives. Nous aimerions y parvenir mais la démarche est compliquée. Dans un contexte de crise, une telle collaboration serait intéressante.

Concrètement, en quoi cela cela vous permettrait d’aller plus rapidement ?

Nous pourrions travailler avec eux pour automatiser cette transformation des données dans les centres où ils sont implantés. Cela serait d’ailleurs très intéressant pour eux : très peu d’éditeurs sont parfaitement interopérables à l’heure actuelle.

Avez-vous déjà engagé une première opération pour levées des fonds ?

C’est en cours. Plusieurs personnes nous ont déjà contactés donc on devrait entamer la démarche dans les prochaines semaines.

Des partenariats avec l’AP-HP et des CLCC (Osiris, Inca)

Où en êtes-vous dans vos partenariats avec les hôpitaux ?

On travaille avec l'AP-HPAssistance Publique – Hôpitaux de Paris sur leur entrepôt de données de santé - qui un très gros projet - en implémentant notre solution. Celle-ci est dédiée au travail de standardisation des données afin de les agréger dans une seule base. Nous les aidons sur plusieurs logiciels qu’ils veulent intégrer à leur entrepôt, ce qui permet d’aller plus vite et d’utiliser directement le standard FHIR.


On travaille avec l'AP-HP sur leur entrepôt de données de santé - qui un très gros projet - en implémentant notre solution.Nous collaborons aussi avec des centres de lutte contre la cancer (CLCC) du groupe Osiris, financé par l'IncaInstitut National du Cancer. Notre travail consiste à uniformiser les données collectées par les différents centres en les transformant en FHIR et à « écrire » des requêtes interopérables avec eux - exemple : combien de doses de tel médicament a pris chaque patient - et ainsi la même requête est utilisée pour tous les centres.


Si on extrapole cela à la pandémie de Covid-19, si tous les centres avaient ce dispositif, des instances centralisées, les agences régionales de santé, etc., pourrait leur envoyer une requête pour connaître le nombre de patients qui ont été infectés par le coronavirus et l’évolution de la maladie en fonction de leurs antécédents cliniques : toutes ces informations seraient accessibles sans avoir besoin de centraliser au préalable les données médicales de tous les patients. Le processus deviendrait alors très simple, on pourrait tout de suite analyser quels sont les signaux faibles du Covid-19, et réaliser des modèles de prédiction beaucoup plus précis sur la manière dont va se propager le virus.

Assistance Publique – Hôpitaux de ParisDes discussions en cours avec plusieurs hôpitaux

Nous avons récemment commencé à travailler avec la Croix-RougeCroix-Rouge française, le CHU de ReimsCentre Hospitalier Universitaire de Reims et le CHU de ToulouseCentre Hospitalier Universitaire de Toulouse.

En plus de ces établissements, nous discutons avec beaucoup d’hôpitaux. Il faut dire que l’on observe dans le système hospitalier une vraie douleur, encore plus avec le contexte de la crise actuelle. L’accès aux bases de données est tellement compliqué que ce sont des médecins experts de leur domaine qui passent de longues heures pendant leurs week-ends à recopier depuis leurs logiciels les informations patient par patient dans des fichiers Excel, alors que cela serait très facile si les bases de données étaient correctement structurées.

C’est d’autant plus dommage que ce travail de structuration n’est qu’à faire qu’une fois et il profite ensuite à tous les utilisateurs, qui réduisent ensuite d’un ordre de grandeur le temps passé à exploiter ces données.

Vos contrats s’inscrivent-ils ainsi plutôt sur le long terme ?

Oui. Au-delà de déployer une infrastructure de gestion des données, nous accompagnons les établissements dans la transition et nous assurons un suivi sur le long terme. Cette nouvelle façon d’accéder aux données nécessite une évolution des pratiques en plus du défi technique qu’elle représente.

« Nous avons une vision très décentralisée de la gestion des données »

Quels sont vos grands projets pour les mois et années à venir ?

Chaque établissement doit selon nous avoir sa propre souveraineté sur les données qu’il collecte parce que c’est lui qui les comprend le mieux.L’objectif est d’embaucher plus de personnes, de grandir, et de nous déployer dans davantage d'établissements de santé pour décupler notre impact. De manière générale, nous avons une vision très décentralisée de la gestion des données. Chaque établissement doit selon nous avoir sa propre souveraineté sur les données qu’il collecte parce que c’est lui qui les comprend le mieux, qui est le plus proche des patients dont proviennent ces données. Mais cela ne limite en rien les possibilités de collaborations entre centres et l’analyse de données à grande échelle. Bien au contraire : en instaurant de la confiance au sein de l’écosystème et une utilisation éthique des données de santé, les établissements sont davantage susceptibles de participer à ce type de projets.

Émeric Lemaire
Fiche n° 4389, créée le 14/05/20 à 14:08 - MàJ le 14/05/20 à 15:36

Émeric Lemaire



Parcours Depuis Jusqu'à
Arkhn
Co-fondateur Janvier 2019 Aujourd'hui
Janvier 2019 Aujourd'hui
CNRS
Stagiaire en recherche (research intern) Janvier 2017 à Mai 2017
Janvier 2017 Mai 2017
Numberly (1000mercis Group)
Stagiaire data scientist Juin 2016 à Décembre 2016
Juin 2016 Décembre 2016

Formation :

• École normale supérieure Paris-Saclay, Master’s degree - MVA, Mathematics and Computer Science (2018-2019) ;
• University of Cambridge, Master of Science - MS, Part III of the Mathematical Tripos, Mathematics and Statistics (2017 - 2018)
• École Centrale Paris, Master’s Degree, Mathematics, Computer Science, Engineering (2014 - 2017) ;
• Université Paris-Sud (Paris XI, devenue depuis Université Paris-Saclay), Master’s degree, Mathematics (2015 - 2016)


Arkhn
Fiche n° 2954, créée le 13/12/18 à 02:38 - MàJ le 08/04/22 à 14:43

Arkhn

Activité : SAS qui produit des solutions open source afin de standardiser les données de santé.
Création : 2018
Siège : Paris
Équipe : Emeric Lemaire, Corneliu Malciu, Théo Ryffel, Elsie Hoffet, Simon Vadée, Jason Paumier, Margaux Françoise et Nicolas Riss


  • Catégorie : Industrie Medtech / Equipements de santé
  • Effectif : De 10 à 49



Arkhn
9, rue d'Alexandrie
75002 Paris - FRANCE
Téléphone : +33 6 44 10 13 71
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